Pour en savoir plus, on peut lire la brochure rédigée pour le 40ème anniversaire du FRAPRU ou visionner le documentaire réalisé à cette occasion.
La naissance du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) remonte à un colloque populaire organisé à Montréal du 20 au 22 octobre 1978. La rencontre fait suite à un an de préparation et de débats. Elle réunit des groupes de différentes régions du Québec alors aux prises avec des programmes de réaménagement urbain baptisés Programmes d’amélioration de quartier (PAQ).
Ces démarches d’embellissement et de modernisation des quartiers populaires sont financées par les gouvernements fédéral et québécois, mais appliquées par les villes. Elles sont accompagnées de rénovations domiciliaires subventionnées. Or, celles-ci entraînent de fortes hausses de loyer qui ont pour effet de chasser une partie des personnes et des familles qui y habitent.
Loin de profiter de l’amélioration de leur milieu de vie, les populations qui, dans les décennies précédentes, avaient vécu les démolitions massives de logements et de quartiers dues à de vastes opérations de rénovation urbaine, sont au contraire à nouveau menacées.
C’est pour cette raison que les personnes participant au Colloque populaire sur les PAQ votent en faveur de la création « d’une organisation commune autour de l’aménagement urbain dont le caractère sera principalement revendicatif, appuyé par des services, et visant à établir le rapport de forces qui obligera l’État à adopter des mesures qui profiteront à chacun de nos quartiers ». Les groupes ne veulent plus se contenter de réagir aux effets néfastes des programmes gouvernementaux. Ils cherchent plutôt à intervenir sur les causes mêmes des problèmes rencontrés.
L’organisme formé à cette occasion se donne son nom actuel de FRAPRU à l’été 1979. En mars de l’année 1980, il adopte un cahier de revendications intitulé « Des quartiers où nous pourrons rester ». Celui-ci définit les grands objectifs du regroupement qui sont de permettre le maintien de la population résidante dans les quartiers populaires par la préservation du parc de logements à bas loyer, ainsi que par des rénovations aux conditions des locataires.
C’est sur cette base que le FRAPRU mène une grande campagne de sensibilisation à l’automne 1980. Aussi intitulée Des quartiers où nous pourrons rester, elle inclut la tournée d’une pièce de théâtre jouée par la troupe À l’Ouvrage, un journal tiré à 75 000 exemplaires et une fête de clôture qui réunit près de 800 personnes à Montréal.
Au premier congrès du FRAPRU qui se déroule à Québec en mai 1981, ses membres décident par une forte majorité que le logement social est le meilleur moyen d’obtenir le maintien de la population dans les quartiers populaires, la préservation du parc de logements à bas loyer et des rénovations aux conditions des locataires. Il réagit également à certaines tendances qui semblent se dessiner du côté des gouvernements. L’année précédente, le ministre des Finances, Jacques Parizeau, avait annoncé la volonté du gouvernement du Parti québécois de ralentir la construction de HLM. Certaines craintes s’expriment par ailleurs quant aux conditions du financement de coopératives d’habitation par le gouvernement fédéral alors sous le contrôle du Parti libéral de Pierre Elliott-Trudeau.
Le FRAPRU, qui ne compte alors que huit groupes membres de Montréal, Québec, Sherbrooke, Verdun et de la région des Bois-Francs, lance officiellement la lutte en septembre 1981 lors d’une autre grande fête populaire tenue à Montréal, en présence d’un millier de personnes. C’est depuis ce moment que le logement social est au centre des luttes menées par le FRAPRU et que de plus en plus de groupes commencent à rejoindre ses rangs, notamment à Joliette, Hull, Laval, Montréal-Nord et dans les quartiers Rosemont, Pointe Saint-Charles et Hochelaga-Maisonneuve à Montréal.
La lutte s’implante d’abord au niveau local. Elle mène à des victoires majeures dont la plus marquante est la construction, au terme d’une bataille de plus de dix ans, d’un total de 900 logements sociaux sur le site de l’ancienne usine Angus, dans le quartier Rosemont, à Montréal. Des comités de requérants et de requérantes de logement social se forment dans plusieurs villes et quartiers. En 1983, à Hull, alors aux prises avec une violente pénurie de logements, un village de tentes accueille de nombreuses familles sans logis, à l’initiative de Logemen’occupe, né peu de temps plus tôt. La bataille, qui se transforme en occupation d’écoles, dure presque tout l’été, avec l’appui de la permanence du FRAPRU qui tente d’attirer l’attention des médias nationaux sur ce qui se passe en Outaouais.
La lutte commence aussi à se déployer nationalement en réaction à deux documents de consultation, un Livre vert sur l’Habitation, Se loger au Québec, publiée en novembre 1984 par le gouvernement péquiste de René Lévesque et un Livre bleu sur lequel le nouveau gouvernement conservateur de Brian Mulroney mène une très discrète consultation à partir de janvier 1985. Alors que le premier ne résiste pas à la défaite du gouvernement péquiste en décembre 1985, le second permet l’adoption par Ottawa de nouvelles orientations fédérales. Celles-ci réduisent l’accès au logement social et favorisent l’octroi de suppléments au loyer à des propriétaires privés au détriment de la construction de HLM.
Même si elles ne sont pas victorieuses, ces confrontations avec l’État, menées en front commun avec d’autres organisations nationales en habitation, permettent au FRAPRU de développer sa stratégie d’intervention basée sur la mobilisation des personnes vivant directement les problèmes de logement et sur l’appel à l’opinion publique par le biais de la plus large médiatisation possible des enjeux et des moyens de pression. Deux colloques unitaires sont aussi organisés en 1985 et 1986, le premier sur l’avenir du logement social et le second sur les nouveaux dangers qui guettent les quartiers populaires. Le terme « gentrification » fait alors son entrée dans le vocabulaire du FRAPRU.
En 1987, lors de l’Année internationale du logement des sans-abri décrétée par l’Organisation des Nations Unies, le FRAPRU organise un Rassemblement des mal-logé.e.s qui mobilise près de 700 personnes à Hull et Ottawa. Il publie aussi un percutant Dossier noir sur le logement et la pauvreté au Québec, le premier d’une série de sept (à partir de 2000, sa parution sera suivie de celle d’un document portant spécifiquement sur la réalité des femmes locataires).
Au tournant des années 1990, le FRAPRU priorise les pressions sur le gouvernement québécois en exigeant une politique globale en habitation axée sur le logement social. En plus de publier son propre projet de politique, le regroupement organise son second Rassemblement des mal-logé.e.s qui attire quelque 800 personnes à Québec en mai 1989.
Durant la même période, le FRAPRU se retrouve au centre de plusieurs luttes. En collaboration avec le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), il mène la charge contre la conversion de logements locatifs en condominiums très répandue dans certains quartiers (1985 à 1988). Il se range aux côtés des locataires des logements et chambres à bas loyer de l’Îlot Overdale, qui s’opposent à la démolition de leur communauté du centre-ville de Montréal pour faire place à des condominiums de luxe (1987 et 1988). Il participe très activement à la lutte menée par une large coalition populaire contre la réforme de l’aide sociale menée par le gouvernement Bourassa (1987 à 1990). Enfin, il s’oppose avec succès à un décret gouvernemental augmentant les loyers dans les HLM et dans d’autres logements sociaux (1990 à 1992).
Le FRAPRU profite de cette dernière lutte pour initier une organisation nationale de défense des droits des locataires de HLM qui deviendra, en 1993, la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec (FLHLMQ).
Pendant toute cette période, le nombre de groupes qui se joignent au regroupement continue de croître. Parmi ceux-ci, certains joueront un rôle majeur au cours des années à venir, dont l’un des plus vieux groupes de Montréal, le POPIR Comité-logement, et le Comité de logement social de Châteauguay.
En 1991, le FRAPRU entame sa bataille la plus importante à date, celle contre le retrait du gouvernement fédéral du financement de nouveaux logements sociaux. Dans son budget de 1990, le gouvernement progressiste conservateur toujours dirigé par Brian Mulroney avait commencé à couper dans les fonds destinés à ces logements. Il répète le manège dans son budget de 1991. C’en est trop. Il en va de l’avenir du logement social, toutes les nouvelles unités financées au Québec l’étant à partir de fonds fédéraux. La bataille est acharnée et le FRAPRU doit muliplier les moyens de pression allant d’actions directes à de grandes manifestations et à la recherche d’alliances les plus larges possibles. Au moment du budget de février 1992, il installe même un camp de trois jours sur les eaux gelées de la rivière Outaouais, au pied du Parlement fédéral.
C’est toutefois par une défaite amère que la lutte se termine, le gouvernement Mulroney annonçant dans son budget d’avril 1993 qu’Ottawa ne s’impliquera plus dans le financement à long terme de logements sociaux pour les ménages à faible revenu à partir du 1er janvier 1994. Il avait, un an plus tôt, mis fin à son programme de financement de coopératives d’habitation.
Même l’arrivée au pouvoir, en octobre 1993, d’un nouveau gouvernement fédéral, cette fois dirigé par le Parti libéral de Jean Chrétien, n’empêche pas le retrait d’Ottawa. En 2021, le FRAPRU évalue que ce retrait effectué au nom de la lutte au déficit a jusqu’à ce jour privé le Québec de quelque 80 000 logements sociaux!
Après quelques actions de dénonciation du Parti libéral du Canada qui s’était initialement opposé aux coupures fédérales avant de les mettre lui-même en application, le FRAPRU se tourne vers le gouvernement québécois pour qu’il réagisse au désengagement d’Ottawa en mettant sur pied son propre programme de financement du logement social. Il y a déjà plusieurs années que le regroupement insistait pour que le Québec soit moins dépendant du financement fédéral et se dote de ses propres initiatives, mais cette fois, il s’agit d’une nécessité absolue, le développement du logement social étant tombé à zéro et le gouvernement fédéral ne démontrant aucune volonté de revenir dans le domaine.
Le terrain semble propice. Le gouvernement libéral, qui n’avait pas levé le petit doigt contre les coupures d’Ottawa, doit aller en élection à la fin de l’été 1994. De concert avec plusieurs intervenants communautaires et municipaux, en particulier la Ville de Montréal, le FRAPRU met d’abord de l’avant la création d’un programme québécois de logements coopératifs et sans but lucratif baptisé Résolution Montréal.
Bien avant les élections, le FRAPRU concentre ses pressions sur le Parti québécois de Jacques Parizeau, qui semble bien placé pour prendre le pouvoir, afin qu’il s’engage à mettre sur pied un tel programme, s’il est élu. En avril 1994, il organise ce qui représente alors une première : une manifestation à la porte d’un parti toujours dans l’opposition. Cette action lui permet de rencontrer le comité chargé de l’élaboration de la plate-forme électorale du PQ.
Toutes ces démarches portent fruit. La création d’un nouveau programme de logement social figure dans la plate-forme électorale du PQ, publiée en juin 1994. M. Parizeau précise cet engagement au milieu de la campagne, en promettant la réalisation de 1500 logements coopératifs et sans but lucratif par année. C’est peu, mais au moins un éventuel gouvernement péquiste pourrait recommencer à financer du logement social.
Sitôt le gouvernement élu, le FRAPRU multiplie les actions pour qu’il respecte et dépasse cet engagement. L’action la plus spectaculaire est la construction sur la Colline parlementaire, au moment du discours inaugural du gouvernement péquiste, en novembre 1994, d’un « bidonville » fabriqué avec des panneaux électoraux de la dernière campagne.
Le gouvernement Parizeau ne respecte toutefois son engagement électoral qu’en partie, avec la mise sur pied du Programme d’achat-rénovations en coopératives et en OSBL d’habitation (PARCO). Il a bien pour objectif de financer 1500 logements sociaux, mais à une seule reprise plutôt qu’à chaque année, comme le PQ l’avait clairement promis. La bataille doit donc se poursuivre à partir de 1995 pour la mise sur pied d’un programme récurrent. Elle prend entre autres la forme de tournées des ministres, chaque membre du comité des priorités des cabinets Parizeau, puis Bouchard, recevant la visite de quelques dizaines de membres du FRAPRU.
Parallèlement à cette lutte, le regroupement s’implique dans la bataille référendaire de 1995, aux côtés d’autres organismes communautaires. La Coalition populaire pour le Oui formée pour l’occasion mène campagne pour une « indépendance progressiste du Québec », idée portée par le FRAPRU depuis le début de la décennie. Elle le fait cependant en toute autonomie, à l’extérieur du Camp officiel dirigé par Jacques Parizeau.
L’échec référendaire du 30 octobre 1995, suivi de la démission de Parizeau et de l’arrivée de Lucien Bouchard au poste de premier ministre du Québec, change la donne. En 1996, le gouvernement péquiste fait avaliser l’objectif de Déficit zéro lors d’une série de deux sommets réunissant le gouvernement, le patronat, les syndicats et différents organismes dits sociocommunautaires. Les groupes féministes et la coalition Solidarité populaire Québec, représentée par le FRAPRU, se retirent de l’exercice, lorsque le gouvernement Bouchard refuse d’accompagner le déficit zéro d’une garantie d’appauvrissement zéro pour la partie de la population qui est déjà la plus pauvre.
Quoi qu’il en soit, le contexte n’est plus du tout favorable à l’adoption du programme de logement social revendiqué par le FRAPRU et l’ensemble des organismes communautaires en habitation. Il faudra plusieurs mois de représentations et de pressions de toutes sortes, y compris la fuite organisée d’un document gouvernemental signé de la main même du ministre Rémy Trudel, avant que la lutte porte finalement fruit.
Un Plan d’action gouvernementale en habitation qui accompagne le budget d’avril 1997 du ministre des Finances, Bernard Landry, annonce le financement de 1325 logements coopératifs et sans but lucratif par année pour une période de cinq ans, par le moyen d’un nouveau programme qui sera plus tard baptisé AccèsLogis. Le gouvernement Bouchard affirme en même temps sa volonté d’augmenter les loyers d’une partie des locataires de logements sociaux, mais une lutte farouche, menée par le FRAPRU et la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec, le fait reculer.
Au même moment, le FRAPRU se joint à nouveau à d’autres organismes communautaires pour résister à une autre réforme de l’aide sociale, comprenant notamment la saisie des chèques des personnes assistées sociales reconnues coupables de non-paiement de loyer. La mesure est adoptée en 1998, mais le mouvement communautaire réussit à en empêcher la mise en application.
Fort du financement quinquennal, le FRAPRU monte la barre, en revendiquant un Grand Chantier de logement social permettant le financement d’au moins 8000 logements sociaux par année dont la moitié en HLM et l’autre moitié en coopératives et en OSBL.
En plus de poursuivre ses pressions sur Québec pour qu’il adopte ce nouvel objectif, le FRAPRU reprend graduellement ses pressions sur le gouvernement fédéral, toujours dirigé par Jean Chrétien, pour qu’il réinvestisse en logement social.
Un autre gain enregistré par le FRAPRU, cette fois au niveau du financement des organismes communautaires de lutte pour le logement social permet un meilleur soutien aux groupes membres de l’organisme, mais aussi l’émergence de comités logement dans des endroits jusqu’ici inorganisés à ce niveau dont la Mauricie, le Saguenay, Sainte-Foy et la région de Rimouski-Neigette. Il répétera plus récemment l’expérience en Abitibi-Témiscamingue et en Gaspésie.
Contrairement à la lutte du début des années 1990, menée presque exclusivement au Québec, d’autres organisations s’activent cette fois ailleurs au Canada et le FRAPRU travaille de concert avec elles au sein du Réseau national sur le logement et l’itinérance, initié par le Toronto Disaster Relief Committee. Il collabore aussi avec d’autres organisations plus officielles comme la Fédération canadienne des municipalités dont le porte-parole en habitation et futur président est feu Jack Layton qui deviendra plus tard chef du Nouveau parti démocratique, à Ottawa.
En décembre 1998, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Organisation des Nations unies (ONU) donne un élan à la bataille, au terme d’audiences tenues à Genève sur le respect de ces droits au Canada. À la suite des représentations faites sur place par plusieurs organismes non-gouvernementaux dont la Ligue des droits et libertés et le FRAPRU, le Comité presse le Canada de considérer les problèmes de logement et d’itinérance comme une « urgence nationale ».
Les actions du FRAPRU, elles, se font encore plus insistantes. Au début de 2000, il multiplie les actions directes, parvenant même à occuper l’édifice abritant les bureaux du premier ministre Chrétien, à Ottawa. L’action fait les manchettes partout au Canada.
Pendant ce temps, l’appui à la revendication de 8000 logements sociaux par année grandit au Québec même. Elle fait entre autres partie des demandes québécoises de la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence de l’automne 2000. Malgré le succès populaire de la Marche, toutes ses demandes de lutte contre la pauvreté, dont celle sur le logement, sont rejetées par le gouvernement Bouchard.
C’est à Ottawa qu’un premier débouché se produit, avec l’annonce, le 1er novembre 2000, à la veille du déclenchement des élections fédérales, de l’intention du gouvernement Chrétien d’investir 680 millions de dollars en cinq ans dans la construction de nouveaux logements dits abordables. Pendant plus d’un an, le FRAPRU se bat pour que l’engagement libéral soit pleinement respecté, mais surtout pour que l’argent soit très clairement destiné au logement social plutôt que de passer en subventions au privé comme le permettrait le logement abordable. Deux conférences fédérales-provinciales-territoriales tenues en 2001 à London, en Ontario, puis à Québec, sont le théâtre de mobilisations initiées par le FRAPRU et le Réseau national sur le logement et l’itinérance.
L’entente signée à Québec en novembre 2001 donne assez de latitude aux provinces, qui doivent investir des sommes similaires à celles versées par Ottawa, pour qu’elles se servent de tout ce financement à des fins de logement social, si telle est leur volonté. Le FRAPRU insiste pour que ce soit le cas du Québec.
Cette avancée est favorisée par une sévère pénurie de logements locatifs qui s’est amorcée dans les grands centres urbains du Canada à la fin des années 1990 et qui frappe le Québec dès l’an 2000. Le taux de logements locatifs inoccupés glisse dangereusement sous le taux d’équilibre de 3,0 % dans les régions métropolitaines de Montréal, Gatineau et Québec.
À quelques jours de la date fatidique du 1er juillet 2001, le FRAPRU dispose d’une liste de 200 familles à fort risque de se retrouver sans toit. Il sonne l’alarme qui est d’abord prise à la légère par les autorités politiques. Celles-ci affirment sans gêne que le 1er juillet en sera un « comme les autres » et refusent le qualificatif de « crise du logement ». Elles doivent toutefois se rendre à l’évidence à la toute dernière minute et mettre en place des mesures d’urgence qui se répéteront par la suite, année après année, atteignant des sommets en 2002 et 2003. La crise du logement est alors au cœur de l’actualité et le FRAPRU obtient une visibilité qu’il n’avait jamais connue auparavant.
À l’automne 2001, le gouvernement péquiste profite de son budget pour confirmer son utilisation des fonds fédéraux dédiés au logement abordable. Il crée un nouveau programme baptisé Logement abordable Québec qui sera majoritairement utilisé à des fins de logement social et annonce du même souffle la reconduction du programme AccèsLogis pour une période de cinq ans additionnels. Le gouvernement québécois se dote ainsi d’un objectif de 13 000 logements en cinq ans, dont 11 500 logements sociaux et 1500 logements privés abordables. On est encore loin de la revendication de 8000 unités par an, mais l’avancée est significative.
Elle l’est d’autant plus que les municipalités, qui, dans certains cas, refusaient que des logements sociaux se réalisent sur leur territoire, se font dorénavant tordre le bras par le gouvernement québécois pour les accepter ou du moins les payer. Le FRAPRU a obtenu ce gain surprenant au moment de la saga des fusions municipales du début des années 2000.
Le contexte semble favorable à une nouvelle offensive du FRAPRU qui, en mai 2002, organise une semaine nationale d’occupations de terrains et de bâtiments. Des actions sont organisées dans plusieurs villes. Le squat d’un petit édifice à logements, situé au 920, rue de la Chevrotière, dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, à Québec, est la dernière activité prévue durant la semaine. Amorcé le 17 mai, il ne prendra fin que le… 20 septembre. Il dépasse ainsi en durée le squat organisé l’année précédente à Montréal par le Comité des sans-emploi de Montréal Centre. Beaucoup plus médiatisé, celui-là avait réussi à maintenir l’attention sur la crise du logement à l’été 2001.
En mai 2003, le FRAPRU récidive avec une autre semaine d’occupations de terrains et de bâtiments qui se termine par une manifestation de plusieurs centaines de personnes à Montréal, ainsi que par un spectacle animé par le monologuiste Yvon Deschamps. Il s’implique au même moment dans la lutte pour sauver sept petites maisonnettes à bas loyer de la démolition à Val-David. Le 6 juillet 2003, la veille d’une manifestation nationale organisée par le FRAPRU en collaboration avec les locataires, le secteur baptisé Guindonville est malheureusement rasé. Le processus de gentrification qui est bien entamé dans plusieurs quartiers de Montréal ou Québec atteint maintenant les Laurentides, au moment où la crise du logement y frappe violemment.
Depuis avril 2003, c’est un autre gouvernement qui s’est installé à Québec, celui du Parti libéral du Québec mené par Jean Charest. Dès le lendemain de son élection, il met de l’avant un projet de « réingénierie de l’État » ou, en d’autres mots, de révision de son rôle dans l’économie, les services publics, les programmes sociaux, etc.
L’inquiétude et la colère sont grandes dans tous les milieux sociaux, d’où la mise sur pied d’un Réseau de vigilance dans lequel le FRAPRU se montrera très actif. Elles le sont aussi dans le domaine de l’habitation, le Parti libéral tardant à concrétiser son engagement électoral d’accélérer le développement des 13 000 logements sociaux annoncés par l’ex-gouvernement péquiste, mais qui ne parviennent pas à se réaliser faute d’un financement suffisant.
Le FRAPRU doit monter le ton pour que le budget de 2004 contienne les investissements nécessaires à l’atteinte d’un tel objectif. Il profite d’une large tournée de consultations pré-budgétaires du ministre des Finances, Yves Séguin, pour porter le message. À la surprise générale, le ministre se montre ouvert et évoque des investissements majeurs en logement social tout au long de sa tournée. Il se rend même aux bureaux du FRAPRU pour en discuter directement. Tout en n’étant pas à la hauteur des attentes créées, le budget 2004 ajoute les sommes nécessaires à la réalisation des 13 000 logements déjà promis et en annonce 3000 additionnels pour un total de 16 000. Ce nombre grimpera lors des budgets subséquents du gouvernement Charest et la grande majorité des logements seront réalisés dans le programme AccèsLogis.
La lutte pour le logement social n’est pas plus facile pour autant. Même si elle est toujours présente et s’est étendue à d’autres régions, la pénurie de logements locatifs n’est plus aussi aiguë dans les grands centres urbains. Elle ne touche plus tous les types de locataires, comme c’était le cas au départ, mais uniquement les ménages à plus faible revenu, principalement des familles.
Les problèmes de logement ne défraient donc plus autant les manchettes et les gouvernements se sentent moins obligés d’y répondre. Le gouvernement fédéral se fait en particulier tirer l’oreille. Au printemps 2005, le NPD de Jack Layton doit menacer le gouvernement libéral minoritaire, alors dirigé par Paul Martin, de le faire tomber pour qu’il accepte de modifier son budget pour inclure 4,6 milliards de dollars de dépenses sociales dont 1,6 milliard pour le « logement à loyer modique ».
Arrivé au pouvoir en janvier 2006, le gouvernement conservateur minoritaire dirigé par Stephen Harper attend l’élection de l’automne 2008 pour confirmer la prolongation d’une série d’initiatives fédérales dont celles dans le « logement abordable ».
Pendant tout ce temps, le FRAPRU ne ralentit jamais ses pressions. Il réussit même un coup fumant en « squattant » brièvement Rideau Hall, la résidence officielle de la gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, à Ottawa. Il multiplie aussi les manifestations et les interpellations des grands partis fédéraux, à l’occasion des campagnes électorales qui se succèdent à un rythme effréné de 2004 à 2011.
La banalisation en cours des problèmes d’habitation incite aussi les partis politiques québécois à éviter de se mouiller lors de l’élection générale de mars 2007. Ce n’est qu’in extremis que le budget qui suit investit dans la réalisation de logements sociaux, les fonds provenant essentiellement d’Ottawa. Il n’en faut pas plus pour convaincre le FRAPRU de mener une action d’envergure en juin 2008, le Camp des 4 Sans (« Sans toit, sans l’sou, sans droit et sans voix ») organisé au moment des célébrations des 400 ans de la ville de Québec. Inspiré d’expériences de lutte vécues l’année précédente à Paris, ce Camp de trois jours se termine par la plus importante manifestation tenue par le FRAPRU sur ses propres bases, avec la participation d’au moins 1300 personnes.
Ce n’est sûrement pas un hasard si Jean Charest, alors à la tête d’un gouvernement minoritaire, s’engage durant la campagne électorale de 2008 à financer au moins 3000 logements sociaux par année dans le cadre d’AccèsLogis.
Or, depuis son congrès du printemps 2006, le FRAPRU s’est doté d’un objectif encore plus ambitieux que la demande de 8000 logements sociaux par année qu’il portait depuis près d’une décennie. Elle a été remplacée par une visée à plus long terme : doubler dans un délai raisonnable le nombre de logements sociaux au Québec.
Cet objectif part du constat qu’à peine 11 % de l’ensemble des logements locatifs du Québec sont des logements sociaux et que ce pourcentage doit absolument être accru rapidement. C’est ce que le FRAPRU appelle la « socialisation du parc de logements locatifs ». Celle-ci passe tout autant par l’acquisition à des fins sociales d’immeubles à logements privés existants que par la construction massive de nouvelles unités, notamment des HLM.
Afin d’avancer sérieusement dans son objectif de doubler le nombre de logements sociaux, le FRAPRU commence à réclamer le financement de 50 000 unités en cinq ans dans ses pressions budgétaires.
La réponse politique n’est pas du tout à la hauteur. À Ottawa, le gouvernement Harper, auquel le FRAPRU réclame des investissements de 2 milliards $ par année, se montre insensible aux pressions, se contentant de n’accorder que des miettes de 250 millions $ par année, dont 57,7 millions au Québec, pour le financement de logements abordables.
À Québec, les budgets de 2009-2010 et 2010-2011 du gouvernement Charest respectent tous les deux l’engagement de financer 3 000 nouveaux logements sociaux par an, mais sans plus.
Voulant arracher des gains plus substantiels, le FRAPRU organise, au printemps et à l’automne 2011, deux caravanes de locataires qui, durant une semaine chacune, sillonnent les routes du Québec pour illustrer l’ampleur et la diversité des problèmes de logement, de même que pour accroître la pression sur les gouvernements.
Au printemps, une quarantaine de locataires se rendent consécutivement dans les villes de Gatineau, Montréal, Châteauguay, Sherbrooke, Trois-Rivières, La Tuque, Saguenay et Québec. La Caravane Sur la route pour le logement social se termine dans le Vieux Québec, le 19 février 2011, par une manifestation de 800 à 1000 personnes.
À l’automne, l’organisation de deux convois séparés partis simultanément d’Ottawa et de Québec, lors de la Journée mondiale de l’Habitat, le 3 octobre, permet à 80 personnes de parcourir un total de 3200 kilomètres. Ce périple les mène simultanément dans une vingtaine de villes aussi éloignées l’une de l’autre que Rouyn-Noranda et Sept-Îles. Des actions sont organisées à chaque endroit. Le 9 octobre, autour de 800 personnes participent à la grande manifestation de clôture à Montréal.
À l’automne 2012, aux lendemains des élections générales du 4 septembre 2012 qui mène le Parti québécois de Pauline Marois à la tête d’un gouvernement minoritaire, le FRAPRU organise la tournée dans les 17 régions administratives du Québec de la Commission populaire itinérante sur le droit au logement.
Durant six semaines, quatorze commissaires provenant d’horizons divers entendent plus de 360 témoignages d’individus et de groupes. Pour bien afficher la solidarité du FRAPRU avec les peuples autochtones et sa sensibilité aux problèmes extrêmes de logement qu’ils doivent vivre, la Commission débute ses travaux à Kuujjuaq, au Nunavik, pour les terminer à Lac Simon, une communauté anichinabée (algonquine) de l’Abitibi. Au terme de cet exercice, les commissaires présentent un rapport de 48 pages intitulé « Urgence en la demeure » qui dénonce de nombreuses violations du droit au logement.
Un front plus large de lutte s’était par ailleurs déjà ouvert en 2010, avec l’apparition d’une nouvelle coalition visant à s’opposer aux hausses de tarifs (électricité, frais de scolarité, santé, etc.) et aux compressions budgétaires qui sont maintenant au programme du gouvernement Charest. La Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, rebaptisée depuis Coalition Main Rouge, organise une panoplie d’actions, dont une manifestation de 15 000 personnes, à Montréal, au printemps 2010 et une autre en 2011 qui en attire 50 000. Cette dernière est organisée en collaboration avec l’Alliance sociale, un nouveau regroupement formé à l’initiative des centrales syndicales.
La coalition et ses membres les plus actifs, dont le FRAPRU, organisent par la suite plusieurs actions et interventions durant la grève étudiante de 2012 qui se transforme en vaste mouvement social. La coalition donne même le ton en organisant en février, au tout début du mouvement de débrayage, le blocage durant plusieurs heures de l’édifice de la Bourse de Montréal.
Le FRAPRU doit par ailleurs accorder de plus en plus d’attention au sort des logements sociaux existants menacés par la fin des subventions à long terme que le gouvernement fédéral s’était engagé à leur verser avant son retrait du 1er janvier 1994. Chaque année, des coopératives et des organismes sans but lucratif en habitation sont touchées par la fin de ce financement reçu depuis des décennies et qui leur permet d’accorder une aide financière additionnelle à leurs locataires à plus faible revenu. Or, le nombre d’organismes concernés augmente continuellement. Quant au gouvernement du Québec, il doit aussi subir une réduction graduelle des sommes qu’il recevait jusque-là d’Ottawa pour le fonctionnement et l’entretien des HLM. Le FRAPRU se lance dans de nombreuses activités de sensibilisation, de formation et de pressions sur cet enjeu, incluant des manifestations nationales à Montréal en 2012 et à Québec en 2013.
À l’automne 2014, le FRAPRU démarre une grande campagne baptisée Le logement, un droit. Celle-ci interpelle les paliers de gouvernement fédéral et québécois sur leurs responsabilités à l’égard du droit au logement, dont celle de financer du logement échappant aux règles du marché.
Le 21 mai 2015, le FRAPRU frappe un grand coup. Avec l’appui de plusieurs personnalités et organisations québécoises et internationales, une centaine de ses membres montent leurs tentes sur un terrain situé au centre-ville de Montréal pour un Camp pour le droit au logement à durée interminée. Le campement est rapidement déclaré illégal, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) procédant à son démantèlement, ainsi qu’à des arrestations. Il est réinstallé à deux reprises en d’autres endroits du centre-ville, mais avec le même résultat. Le 24, une action symbolique clôture l’activité au parc du Mont-Royal. Même s’il échoue à s’installer durablement, le Camp retient l’attention médiatique, parvenant ainsi à remettre les problèmes de logement à l’ordre du jour et à accroître la pression sur les gouvernements.
La campagne Le logement, un droit se poursuit au cours des années suivantes, les mois de mai 2016 et 2017 étant marqués par l’organisation d’occupations parfois spectaculaires de terrains et de bâtiments dans plusieurs quartiers et villes. Elles visent tout autant à démontrer la disponibilité d’endroits, publics comme privés, pouvant servir à des fins de logement social qu’à dénoncer la gentrification et la spéculation qui est à l’oeuvre dans plusieurs villes et quartiers.
À l’automne 2017, le FRAPRU organise une nouvelle tournée sur le droit au logement. Des personnes connues pour leur expertise en matière de droits, dont la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le droit au logement, la Canadienne Leilani Farah, recueillent les témoignages de personnes et de familles mal-logées ou sans logis.
Durant ce temps, le FRAPRU doit affronter les politiques d’austérité mises de l’avant par le gouvernement libéral de Philippe Couillard. Sous prétexte d’atteindre et de maintenir l’équilibre budgétaire, Couillard reprend en d’autres mots l’idée de réingénierie de l’État que son prédécesseur, Jean Charest, n’a pas réussi à mener à terme. Tous les programmes de l’État sont passés à la loupe, avec l’objectif avoué d’en éliminer plusieurs ou du moins d’en réduire la portée.
Les premiers effets en logement social sont ressentis dès les débuts de 2015. Les subventions additionnelles accordées depuis 2009 dans le programme AccèsLogis afin de faciliter la réalisation de logements sociaux partout au Québec sont abolis. Le financement du programme aurait au contraire dû être considérablement augmenté, compte tenu de son absence d’indexation depuis une dizaine d’années, au moment même où les coûts explosaient dans le domaine immobilier.
Le budget de mars 2015 du ministre des Finances, Carlos Leitao, fait un pas de plus, en réduisant de moitié le budget consacré annuellement à AccèsLogis. Il fait passer de 3000 à 1500 le nombre de logements sociaux pouvant être réalisés annuellement. Le gouvernement Couillard ouvre même la porte à une plus grande privatisation de l’aide au logement en annonçant le financement au cours des cinq prochaines années de 5800 suppléments au loyer privés, soit 1000 en 2015-2016 et 1200 à chacune des quatre années suivantes. Loin de corriger le tir, le budget de 2016 ne finance à nouveau que 1500 logements sociaux.
La même année, le gouvernement Couillard se lance dans une tournée nationale de consultation sur « Une nouvelle approche d’intervention en habitation ». L’existence même d’AccèsLogis est ouvertement questionnée. Heureusement, c’est un large appui à la poursuite et à la bonification du programme qui se fait plutôt entendre dans tous les coins du Québec, entre autres de la part des municipalités. Les groupes membres du FRAPRU ne passent pas inaperçus, en étant encore une fois présents et bruyants aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des rencontres organisées par le gouvernement.
Le gouvernement Couillard revient au financement de 3000 logements sociaux par année dans ses budgets de 2017 et 2018, mais, sous-financées, ces unités ne font que s’ajouter aux milliers d’autres qui attendent des budgets additionnels pour pouvoir aller de l’avant. Au moment des élections de 2018, elles sont 15 000 dans cette situation.
L’austérité prônée par le gouvernement Couillard convainc par ailleurs le FRAPRU de s’impliquer à fond de train dans la Coalition main rouge qui, pour s’y opposer, propose toute une série de mesures fiscales et budgétaires qui permettraient d’aller chercher 10 milliards $ par an, notamment en mettant davantage à contribution les personnes à haut revenu et les grandes entreprises. Plusieurs actions sont organisées en ce sens en 2014 et 2015, les plus importantes étant une manifestation de quelques dizaines de milliers de personnes à Montréal, le 31 octobre 2014, et une grande journée de grève sociale et d’actions de perturbation, le 1er mai 2015.
À partir de 2015, le FRAPRU joue également un rôle important dans la lutte unitaire menée pour obtenir un financement adéquat du mouvement communautaire autonome et dénoncer du même coup l’austérité. Il est l’une des organisations qui coordonne les deux jours de grève, de fermeture et d’interruption d’activités auxquels participent 1431 groupes communautaires de tout le Québec, les 2 et 3 novembre 2015. À l’automne 2016, il est impliqué dans l’organisation et l’animation de trois jours d’actions, dont deux de grève.
Du 9 au 13 août 2016, le FRAPRU travaille de pair avec le réseau international NO VOX, dont il est membre, à l’organisation d’une série d’activités sur le droit au logement, à la terre et à la ville, à l’occasion de la tenue à Montréal du Forum social mondial. Ces activités lui permettent d’échanger et de passer à l’action avec des militants et des militantes de nombreux pays, en particulier le Mali, le Japon, la France, la Grande-Bretagne, le Portugal et les États-Unis.
En 2015, le gouvernement conservateur est défait, après 9 neuf ans à la tête de l’État. Justin Trudeau et le Parti libéral du Canada prennent le pouvoir le 19 octobre 2015.
Leur premier budget présenté en mars 2016 double le financement du logement abordable et de la lutte contre l’itinérance. Il annonce surtout l’élaboration d’une Stratégie nationale sur le logement, précédée d’une longue démarche de consultation. Il répond ainsi favorablement à la demande portée depuis des années par de nombreux organismes canadiens, ainsi qu’à la recommandation en ce sens émise quelques semaines plus tôt par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, à la fin de la comparution du Canada devant cette instance tenue à Genève en février 2016. Le FRAPRU y a fait de nombreuses représentations, en alliance avec des groupes canadiens.
Dévoilée en novembre 2017, la Stratégie comprend des gains, dont le financement jusqu’en 2028 de subventions dédiées aux coopératives et aux OSBL d’habitation dont les ententes de financement signées par le passé avec Ottawa se terminent. Ces organismes sont ainsi en mesure de poursuivre l’aide financière accordées aux ménages à plus faible revenu qui y demeurent. Toutefois, la Stratégie s’appuie sur une série d’initiatives fédérales qui ont toutes en commun de favoriser des promoteurs privés et de viser la réalisation de logements dits abordables mais dont les loyers seront beaucoup trop élevés pour une large partie des ménages qui en ont besoin.
À la fin de l’été 2018, le FRAPRU se lance dans l’aventure la plus ambitieuse de son histoire : la marche « De villes en villages pour le droit au logement ». Partie d’Ottawa, le 2 septembre, la marche soigneusement préparée de quelques dizaines de personnes passe par de nombreuses localités où elle est accueillie par toutes sortes d’organismes avec lesquels le FRAPRU anime des activités. Elle prend fin à Québec, le 29 septembre, deux jours avant que la campagne électorale québécoise s’achève avec la victoire de la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault.
Lors de la campagne, la CAQ se contente de s’engager à livrer les 15 000 logements déjà annoncés par les gouvernements précédents. Le gouvernement Legault s’en est tenu à cet engagement plus que minimal jusqu’au budget du 25 mars 2021 qui n’ajoute que 500 nouveaux logements à AccèsLogis. Quant aux logements déjà annoncés, ils ne se réalisent qu’au compte-goutte. L’existence même d’AccèsLogis est même à nouveau questionnée, cette fois dans les officines caquistes.
Pourtant, le FRAPRU ne ménage pas ses efforts pour convaincre le gouvernement Legault de se montrer beaucoup plus actif dans le développement du logement social. Il amorce une campagne sous le thème « Du logement social maintenant ». Au début de février 2020, une caravane d’un nouveau genre prend la route. Durant trois jours, des autobus remplis de membres du FRAPRU visitent une vingtaine de bureaux de ministres à travers le Québec. Le tout doit culminer sur une grande manifestation le 7 février devant l’Assemblée nationale, mais la pire tempête de l’hiver empêche des centaines de personnes de venir rejoindre celles qui sont de peine et de misère parvenues à se rendre à Québec.
Par la suite, c’est la pandémie de coronavirus qui oblige temporairement le FRAPRU à renoncer aux moyens de pression habituels: larges manifestations, occupations, blocages, etc. Le regroupement réussit tout de même à faire passer son message, en s’adressant directement au premier ministre Legault par le biais de panneaux géants affichés aux quatre coins du Québec. Chaque action est largement médiatisée
Or, depuis l’été 2019, plusieurs centres urbains du Québec sont à nouveau plongés dans une pénurie de logements locatifs qui frappe particulièrement les ménages à revenus faible, modeste et même moyen, ainsi que les familles avec enfants. Cette crise survient paradoxalement au moment où les mises en chantier de logements locatifs privés sont à leur plus fort. Or, cette construction se concentre sur la production de petits logements à loyer très élevé. Par ailleurs, les logements locatifs existants sont aux prises avec de fortes hausses du prix du logement, conjuguées avec des phénomènes comme la location temporaire d’appartements de type Airbnb et les évictions de locataires supposément exécutées pour la rénovation de leurs appartements (« rénovictions »).
Comme au début des années 2000, le FRAPRU doit, à l’approche de chaque 1er juillet, journée traditionnelle des déménagements au Québec, faire pression en faveur du financement par le gouvernement québécois de mesures adéquates d’aide aux personnes et aux familles qui risquent de se retrouver sans logis.
La pandémie officiellement amorcée en mars 2020 pose par ailleurs des défis particuliers auxquels le FRAPRU, comme les autres mouvements sociaux, n’ont jamais eu à faire face. De pair avec le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, il cherche à s’assurer que les pertes d’emplois provoqués par le coronavirus ne résultent pas en une vague d’évictions pour non-paiement de loyer et que des aides financières suffisantes soient accordées aux ménages en difficulté. Il doit aussi voir à ce que la recherche de logements se déroule le mieux possible dans les circonstances et que des conditions sécuritaires d’hébergement soient offertes aux personnes et aux familles qui ne parviennent pas à se trouver de toit. Toutes ces interpellations valent une très grande visibilité aux luttes pour le logement.
Or, le gouvernement caquiste se laisse à chaque année tirer l’oreille et, même à l’été 2021, alors que les médias n’hésitent plus à parler de crise du logement, le premier ministre François Legault et la ministre de l’Habitation Andrée Laforest refusent obstinément d’utiliser cette expression. Cette négation va de pair avec le refus du gouvernement d’adopter des mesures vraiment ambitieuses en logement social.
Dans ce contexte, la signature d’une éventuelle entente avec le gouvernement fédéral sur la mise en œuvre au Québec de la Stratégie nationale sur le logement crée beaucoup d’attentes. Elles sont déçues, lorsque celle-ci est rendue publique en octobre 2020. Le gouvernement Trudeau n’accorde que 272 millions $ en dix ans pour le financement des « priorités du Québec » en habitation. Quant aux fonds attribués au Québec pour la rénovation, l’amélioration et la modernisation de son parc de HLM, ils se chiffrent à 1,1 milliard $ en dix ans. Ce sera cependant insuffisant, compte tenu de l’âge de ce parc et de la négligence dont il a longtemps fait l’objet par le passé.
En 2021, le gouvernement Legault profite d’une nouvelle création fédérale, l’Initiative pour la création rapide de logements, pour récupérer la majeure partie du financement prévue au Québec. Il peut ainsi réaliser plus rapidement des logements communautaires dont la réalisation était déjà prévue dans AccèsLogis. Dotée à deux reprises d’un budget d’un milliard $ en deux ans, l’Initiative est la seule qu’Ottawa réserve directement au secteur sans but lucratif. Elle vise à répondre aux besoins urgents des personnes itinérantes et autres populations vulnérables. Elle n’est malheureusement pas disponible pour répondre à l’ensemble des besoins eux aussi très pressants en habitation.
La campagne « Le logement, un droit » se termine en 2020. Le FRAPRU décide de remettre plus clairement le cap sur l’objectif de socialisation du parc de logements locatifs. Celle-ci apparaît plus nécessaire que jamais compte tenu des tendances actuelles du marché privé de l’habitation qui est de plus sous le contrôle de grands investisseurs, entre autres de fonds de retraite et de placement. Alors que le droit au logement est enfin reconnu dans une législation canadienne, avec l’adoption en 2019 de la Loi sur la Stratégie nationale sur le logement, dans la réalité, il continue à être nié et le sera tant qu’il sera soumis à la spéculation, à la marchandisation et à la recherche de profits toujours plus juteux.
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