« Quand 20, 25 familles se retrouvent à la rue à Montréal, ça fait la une des journaux. Ici on est un millier dans cette situation et personne n’en parle ».
Ces phrases prononcées par Frédéric Gagné, un représentant de l’Administration régionale Kativik ((L’Administration régionale Kativik a été créée en 1978, suite à la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, dans le but d’offrir des services publics à la population du Nunavik. Les municipalités de la région et le gouvernement du Québec lui confient également d’autres mandats.)), le 12 octobre, à Kuujjuaq, reflète le sentiment vécu dans le Grand Nord devant l’indifférence des gens du Sud face à la grave crise du logement qui sévit dans le territoire inuit du Nunavik. Les présentations et les témoignages entendus lors de cette audience, la première de la Commission populaire itinérante sur le droit au logement, sont pourtant sans équivoque sur les terribles conséquences sociales de cette crise.
Un surpeuplement dramatique
Au Nunavik, le marché privé de l’habitation est à peu près inexistant, de sorte que les logements sociaux représentent la quasi-totalité des habitations. Certains sont gérés par l’Office municipal d’habitation, d’autres par les employeurs (organismes gouvernementaux ou régionaux). Selon la Société Makivik ((La Société Makivik représente les Inuits du Nunavik dans leurs relations avec les gouvernements du Québec et elle gère les indemnités versées par le gouvernement du Québec dans le cadre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.)), les Nunavimmiut ((Terme désignant la population du Nunavik.)) peuvent attendre plus de 10 ans pour obtenir leur maison.
Aux deux ans, l’Office municipal d’habitation Kativik réalise une enquête sur les besoins en logements. En avril 2010, il en manquait 997 au Nunavik, comparativement à 915 en 2008. « En attendant, deux, trois ou quatre familles vivent dans la même maison, il n’y a pas d’autres options », a précisé Watson Fournier, le directeur de l’Office. La présidente de l’Administration régionale Kativik, Maggie Emudluk, a bien illustré la situation : « Imaginez quand la famille élargie vient pour Noël mais qu’elle ne part pas. Ici, c’est comme ça à l’année. Vous êtes 12 dans un logement. »
Lors du recensement de 2006, 485 ménages (presque la moitié) vivaient des problèmes liés au surpeuplement des logements, près de 26 % des habitations étant occupées par des ménages comprenant six personnes ou plus. Or, cinq ans plus tard, au recensement de 2011, la population avait encore augmenté de 11,8 %. Le problème de surpeuplement en a été aggravé d’autant.
La population du Nunavik est très jeune : 71 % de la population a moins de 35 ans. Cela entraîne la création d’un grand nombre de ménages et l’augmentation croissante de la demande de nouveaux logements. Olivia, une mère de 23 ans, en a témoigné : « Nous sommes des humains, nous avons besoin d’une place pour vivre, nous n’avons pas besoin d’une boîte, mais d’une maison pour élever nos familles ».
Le manque de logement n’est pas un enjeu nouveau au Nunavik. « Dès que les Inuits du Nunavik ont commencé à s’établir en villages, l’accès à des logements adéquats et en quantité suffisante a constitué une priorité pour eux et un défi pour les gouvernements », peut-on lire dans le Plan Nunavik, qui propose une vision du développement du Grand Nord élaborée par les organisations y intervenant. L’éloignement, le climat et les caractéristiques géographiques rendent prohibitifs les coûts de construction. Les routes étant inexistantes, les matériaux doivent être livrés par bateaux, quelques mois par année seulement. La présence du pergélisol rend impossible la construction d’aqueducs ou d’égouts.
Une analyse récente de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik a conclu que le surpeuplement a de graves impacts sur la santé physique et psychosociale de la population. Selon les présentations faites devant la Commission, la pénurie de logements est une des principales raisons expliquant les problèmes sociaux, le haut taux de détresse psychologique voire les conflits interpersonnels au sein de la communauté. Le surpeuplement nuit à l’apprentissage des enfants qui n’ont pas de place où faire leurs devoirs, à la concentration au travail, voire à la capacité de travailler. Il contribue aux situations de violences familiales qui touchent en premier lieu les femmes et les enfants.
La détérioration accélérée des habitations, est un autre problème majeur qui s’ajoute à la pénurie, pas moins de 40 % des logements locatifs ayant besoin de réparations majeures alors que ce taux est de 9 % pour l’ensemble du Québec. Le surpeuplement et le degré élevé d’humidité entraînent notamment des problèmes graves de moisissures et la propagation de maladies infectieuses.
Des tensions
Les tensions sociales sont d’autant plus grandes que les conditions de logement des Nunavimmiut diffèrent souvent de celles des travailleurs et des travailleuses provenant du Sud. L’équipement fourni et la qualité des matériaux ne sont pas les mêmes. La facilité d’accès à un logement varie selon les organismes employeurs. Certains ne demandent pas de loyers alors que toutes les personnes vivant dans un logement de l’Office municipal en paient un. Le Plan Nunavik souligne que tous les organismes devraient veiller à ce que l’ensemble des locataires vivant sur le territoire paient un loyer équitable.
Le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN (qui dessert le Nunavik) s’est d’ailleurs déplacé pour l’audience, notamment pour recommander que « les gouvernements éliminent les différences de traitement en ce qui a trait au logement et fournissent aux travailleuses et travailleurs du Nord des conditions d’habitation équivalentes à celles dont bénéficient ceux qui viennent du Sud ».
1 000 logements requis
« Dans ces conditions, les 500 unités de logement annoncées en 2011 par le gouvernement du Québec dans le Plan Nord sont insuffisantes », a souligné l’Administration régionale Kativik. Une des priorités du Plan Makivik est la construction de 1 000 logements de plus que ceux compris dans les ententes déjà signées ((La dernière entente signée en 2010 entre le gouvernement fédéral et celui du Québec prévoyait la construction de 340 logements sociaux d’ici 2014. Les 500 logements additionnels, que le gouvernement québécois s’est engagé à financer en cinq ans dans le Plan Nord, ne répondent donc qu’à moitié à l’urgence de 1 000 chiffrée il y a déjà trois ans.)), mais le gouvernement fédéral refuse, à ce jour, de financer des logements supplémentaires. Les organisations entendues lors des travaux de la Commission ont insisté sur le fait que les problèmes de logements concernent les deux paliers de gouvernements. Les Inuits doivent donc encore se battre pour que le fédéral reconnaisse sa responsabilité dans ce domaine crucial.
Comme l’a exprimé un membre de la communauté en conclusion de l’audience, « il faut que ça change ».