Bulletin 142 – Aide fédérale au logement: lâcher le privé et lâcher le sans but lucratif!

Les groupes membres du FRAPRU revendiquent qu’Ottawa cesse de soutenir les institutions financières et un marché immobilier qui accentuent les inégalités sociales. Ils réclament que la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) soit mandatée pour soutenir le développement du logement social.

Entre les mois de septembre 2002 et 2022, le prix du logement a augmenté de plus de 300 % au Canada*. Les ténors de l’économie font le pari qu’en accroissant le nombre de logements disponibles, le marché se rééquilibrera automatiquement et que le prix du logement se stabilisera. Le fédéral encourage cette approche de deux manières; d’une part, il subventionne la construction domiciliaire; d’autre part, il mandate la SCHL pour qu’elle facilite l’accession à la propriété en assurant les prêts hypothécaires consentis par les banques.
Le FRAPRU ne croit pas que ce soit la meilleure stratégie pour réduire la pression sur le prix de l’habitation.
D’abord, parce que le Canada, l’un des sept pays parmi les plus riches de la planète, est et restera vraisemblablement attrayant pour sa qualité de vie; la demande d’habitations y restera importante. Et vu le mode de fonctionnement de son marché résidentiel, cette demande continuera à pousser le prix de l’habitation vers le haut.
Ensuite parce qu’Ottawa subventionne la construction de logements chers. Le budget fédéral de mars 2022 a accru de 5,7 milliards $ sur cinq ans**, le soutien aux promoteurs qui construisent des logements. Or, les loyers des logements subventionnés par Ottawa ne sont pas fixés en fonction du revenu des ménages pauvres à mieux loger, mais plutôt en fonction de celui de l’ensemble des ménages*** (incluant ceux déjà bien logés) ou en fonction du prix du logement sur le marché. Ainsi, les logements récemment construits dans la région de Montréal avec des subventions fédérales, se louent en moyenne 2225 $ par mois****.
Enfin, le gouvernement soutient l’accession à la propriété, à laquelle les ménages à faible et à modeste revenus ne peuvent aspirer. Via la SCHL, il garantit les prêts que les banques accordent aux acheteurs; si ces derniers ne parviennent plus à rembourser leurs hypothèques, c’est le fédéral qui rembourse à leur place, mettant les banques à l’abri de toute perte.
Le FRAPRU réclame que les subventions gouvernementales et que les investissements de la SCHL visent en priorité les ménages éprouvant des besoins impérieux. Leurs interventions doivent favoriser la réalisation de logements hors marché. La SCHL a déjà joué ce rôle dans les années 1970 et 1980, alors qu’il se construisait quelque 8000 logements sociaux par année au Québec, notamment grâce aux investissements fédéraux.
Le fédéral peut financer un grand chantier de logements sociaux, surtout s’il décide d’augmenter les impôts des banques canadiennes. En 2021, les profits des six plus grandes d’entre elles ont totalisé 61 milliards $. Face à la grogne populaire, dans son budget de mars 2022, Ottawa a rehaussé temporairement leurs impôts. Il compte ainsi récupérer 4,8 milliards $, soit à peine 8 % des profits qu’elles ont réalisé en une seule année5.
Le fédéral pourrait trouver encore d’autres revenus pour financer plus de logements sociaux, s’il décidait d’imposer la totalité des profits réalisés sur la vente des logements. À l’heure actuelle, un propriétaire qui vend sa résidence principale, ne paie pas un sou d’impôt au fédéral sur le profit qu’il réalise. En 2020, la non-imposition du gain en capital sur la résidence principale « a coûté » 7,8 milliards $ au gouvernement fédéral******.

Décidemment, le Canada finance déjà beaucoup trop le marché privé de l’habitation. Il doit faire plus et mieux pour accroître l’offre de logements sociaux et garantir le droit au logement de toutes et de tous !

Sources:

* Société canadienne d’hypothèques et de logement; Le portail de l’information sur le marché de l’habitation;
** Gouvernement du Canada; ministère des Finances; Budget 2022;

***Selon le recensement de 2016, le revenu médian des ménages canadiens ayant des besoins impérieux de logement était de 26 516 $ en 2015; la même année, celui de l’ensemble des ménages était de 70 615 $, alors que celui des seuls ménages locataires était de 41 586 $. Les frais de logement correspondant à 30 % de ces revenus sont fort différents…
**** La Presse, 14 novembre 2022: https://www.lapresse.ca/affaires/2021-10-13/marche-locatif/loyers-abordables-a-2225-les-critiques-fusent.php
***** Journal de Montréal, 7 avril 2022: https://www.journaldemontreal.com/2022/04/07/budget-federal-2022-ottawa-taxe-les-banques-mais-moins-que-prevu;
****** Chaire en fiscalité et en finance publique; « Non-imposition du gain en capital sur la résidence principale ».