L’IMMIGRATION RESPONSABLE DE LA CRISE DU LOGEMENT ?

Janvier 2024 : une étude de la Banque Nationale prétend que le niveau de vie des Canadien.nes est compromis par la croissance démographique, imputable à l’immigration. Ce rapport est une occasion de délier les langues opportunistes : le gouvernement caquiste somme le fédéral de freiner les demandeurs d’asile, afin de résorber la crise du logement. Il n’en fallait pas plus pour que crise du logement et immigration forment une idée insécable dans l’espace médiatique.

Forte hausse de l’immigration temporaire au Canada et au Québec, chute des mises en chantier : l’argumentaire a l’avantage des chiffres pour inquiéter la population. Bien que séduisante par sa simplicité, l’analyse manque de rigueur.

D’une part, les mises en chantier ne sont pas un indice fiable et juste de l’offre de logements réellement abordables. Les logements neufs sont le plus souvent hors de prix, preuve que la crise de l’abordabilité n’est pas réductible à l’offre.

D’autre part, la croissance démographique n’est pas l’unique facteur exerçant une pression sur le marché locatif. Le vieillissement de la population y participe également, ainsi que la formation de nouveaux ménages, les séparations, les jeunes quittant le domicile familial, l’appauvrissement de la population, mais aussi les migrations interprovinciales et interrégionales (l’exode urbaine, notamment lors de la pandémie, a eu un impact sur les taux d’inoccupation). 

Si l’immigration s’est effectivement accrue, les immigrant.es temporaires ne représentaient que 1,8 % de la population du Québec en 2023. Au-delà de sa croissance, c’est surtout le changement de composition de l’immigration qui problématise la crise : l’immigration temporaire est désormais privilégiée sur la permanente. De plus, la causalité entre taux d’immigrants et taux d’inoccupation pour un lieu donné n’est tout simplement pas avérée. D’ailleurs, des régions accueillant une faible proportion de nouveaux.elles arrivant.es affichent des taux d’inoccupation faméliques. Selon le directeur principal de Desjardins, les résident.es permanent.es, découlant plus souvent de l’immigration dite économique, offrent une contribution économique supérieure à celle des « natifs ». Leur poids sur le marché locatif n’est donc pas probant. Si les résident.es non permanent.es (ex. : étudiant.es étranger.es, les travailleur.ses temporaires et demandeur.ses d’asile) exercent effectivement une pression sur le marché locatif, ils et elles sont avant tout parmi les plus mal-logé.es du Québec et les plus à risque d’être discriminé.es, ou en surpeuplement dans leur logement. Plusieurs sont hébergés par leurs employeurs, notamment les travailleurs agricoles, qui endurent souvent des conditions de logement scandaleuses.

Le nombre important d’étudiant.es étranger.es est lié à la source de financement qu’ils représentent pour les universités en mal d’investissements, dans un contexte où il manque de logements étudiants.

Quant aux demandeur·ses d’asile et personnes sans statuts, illes sont le plus souvent la proie de propriétaires abusant de leur grande précarité. Immobilisé.es par leur absence de droits, illes sont particulièrement à risque de se retrouver en situation d’itinérance, en plus de vivre dans la crainte de leur déportation. Leur régularisation n’ajouterait aucune nouvelle pression locative puisque ces personnes habitent déjà un logement. Aussi, le temps d’attente d’une habitation à loyer modique (HLM) au Québec ne serait pas amoindri par une restriction des immigrant·es à statuts précaires, puisque celleux-ci n’y sont pas admissibles.

Enfin, le Canada a une responsabilité humanitaire envers les personnes demandeuses d’asile, notamment celles originaires des pays qu’il participe à appauvrir, déstabiliser ou détériorer. Rappelons que le pays contribue au grand déséquilibre des milieux de vie du Sud Global, notamment par ses exploitations extractivistes et son industrie de l’armement, collaborant par cela à l’amplification de l’immigration. 

Le discours actuel du gouvernement caquiste mobilise un électorat en quête d’explications simples, plutôt
que de mettre en place les mesures structurantes qui s’imposent. S’il y a une pression exercée sur le marché locatif,
c’est surtout à la mesure du manque criant de logements répondant aux besoins urgents des personnes à faible et
modeste revenus. 

Le principal risque de cet amalgame est de conduire à de très mauvaises solutions : 1) sur les politiques migratoires 2) sur les initiatives de construction pure et simple sans égard à l’abordabilité réelle.

Or, la crise du logement est multifactorielle et avant tout le fait :

  1. du faible encadrement du marché locatif ;
  2. du déficit de construction de logements sociaux depuis 30 ans ;
  3. de la protection laxiste concernant l’hébergement de courte durée du type (Airbnb) ;
  4. de la financiarisation du logement ;
  5. de l’absence de programme de logements étudiants.

 

Il est donc clair qu’avant de resserrer les politiques migratoires, il serait plus judicieux de tabler sur la construction de logements sociaux et de logements étudiants.