« Péril en la demeure ». C’est l’expression que le Parti libéral du Canada avait choisie en 1990 pour intituler le rapport de son groupe de travail sur le logement. Si l’expression était adéquate à l’époque, elle l’est bien davantage vingt-cinq ans plus tard, au moment de la campagne qui mènera à l’élection d’un nouveau gouvernement, le 19 octobre.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), l’organisme responsable de l’habitation pour le gouvernement canadien, évalue que 1 552 145 ménages ont des besoins impérieux de logement au Canada. De plus, un rapport de recherche, publié en 2014, affirme que plus de 235 000 personnes vivent des situations d’itinérance, à un moment ou à un autre d’une année, au Canada[1].
Pourtant, d’ici mars 2019, le gouvernement conservateur de Stephen Harper n’a prévu accorder que des miettes de 250 millions $ par an à l’ensemble des provinces et des territoires du Canada pour tous leurs programmes d’aide à des ménages toujours mal logés. C’est ce qu’Ottawa appelle ses investissements dans le logement abordable. Pour mesurer l’insignifiance de ces investissements, précisons que les 57,7 millions $ que le gouvernement québécois reçoit annuellement par ce biais représentent à peine l’équivalent des subventions gouvernementales nécessaires à la réalisation de 687 logements sociaux dans le programme AccèsLogis.
La fin des subventions à long terme aux logements sociaux
Selon des données provenant de l’Association canadienne de l’habitation et de la rénovation urbaine (ACHRU), le budget fédéral consacré annuellement au logement a diminué de 46 % depuis 1989, si on tient compte des effets de l’inflation.
Or, ces sommes continueront de chuter dans les années à venir, mais à un rythme encore plus accéléré, au fur et à mesure que se termineront les ententes de financement des logements sociaux réalisés avant 1994. Sur son budget actuel de 2,1 milliards $, Ottawa en consacre en effet 1,7 milliard $ aux subventions à long terme toujours accordées à 553 700 logements sociaux. Selon les prévisions de la SCHL, ce nombre diminuera de 25 100 dès 2015 et de 91 200 autres au cours des trois années suivantes. À terme, tous les logements perdront leurs subventions fédérales.
Au Québec, 125 500 logements sociaux étaient toujours financés par Ottawa à la fin de 2013. Or, 5200 d’entre eux perdront leurs subventions en 2015 et un total de 16 200 autres entre 2016 et 2018.
C’est l’accessibilité financière des logements sociaux qui souffrira le plus du retrait fédéral. Dans les coopératives d’habitation et les logements gérés par des organismes sans but lucratif recevant directement leurs subventions de la SCHL, l’effet sera direct et brutal. Comme toutes ces subventions servent à rabaisser le loyer des locataires à plus faible revenu demeurant dans une partie des logements, la fin de subventions fédérales signifie que ces organismes n’auront plus un sou à leur redistribuer. Privés de cette aide, ces ménages devront assumer le même loyer que les autres locataires, ce qui pourrait les obliger à payer 200 $, 300 $ et même 400 $ de plus par mois qu’ils ne le font présentement. Ces logements deviendront du même coup moins accessibles financièrement aux ménages à faible revenu qui voudront y entrer à l’avenir.
L’effet sera moins direct lorsque ce sont les provinces et les territoires qui reçoivent les subventions fédérales pour des logements dont ils assument la gestion. C’est le cas de 88 050 appartements au Québec, dont tous les HLM, ainsi que des logements coopératifs et sans but lucratif entièrement destinés à des ménages à faible revenu. Au fil des années, les gouvernements provinciaux et territoriaux, dont celui du Québec, recevront cependant de moins en moins de financement de la part d’Ottawa. Ce sont eux qui devront décider de la manière dont ils s’y prendront pour combler cet important manque à gagner. Des hausses de loyer seront assurément envisagées, tout comme la privatisation d’au moins une partie de ces logements.
L’ACHRU estime que sur l’ensemble des logements toujours subventionnés par Ottawa, les deux tiers sont actuellement réservés à des ménages à faible revenu et seront affectés par cette perte d’accessibilité financière.
Profiter de la campagne électorale
Compte tenu de l’urgence de la situation, le logement doit absolument être un enjeu de la campagne électorale. Tous les partis aspirant au pouvoir doivent prendre des engagements clairs et chiffrés à la fois sur le maintien des subventions fédérales au parc actuel de logements sociaux et sur le réinvestissement dans la réalisation de nouveaux logements sociaux au Canada. Le FRAPRU organisera plusieurs activités en ce sens durant la campagne, dont certaines en lien avec d’autres organismes partageant les mêmes préoccupations au Québec comme dans le reste du Canada.
En adhérant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Canada s’est engagé à agir au maximum de ses ressources disponibles pour respecter, protéger et mettre en œuvre le droit au logement. Ne le laissons pas se dérober de ses responsabilités.
[1] Canadian Observatory on Homelessness et Canadian Alliance to End Homelessness, L’État de l’itinérance au Canada 2014, un Rapport de recherche Homeless Hub, 2014, p. 5.