Le 21 octobre dernier, un gouvernement minoritaire a été élu à Ottawa. Ce pourrait être l’occasion d’obtenir un réengagement fédéral dans le logement social.
Ce ne serait pas la première fois. C’est un gouvernement libéral minoritaire, qui, dans les années 1970, a instauré le premier programme de développement de logements coopératifs, suite aux pressions pré budgétaires des Néo-démocrates. Pareillement, dans les années 2000, c’est le parti de Jack Layton qui, après avoir menacé de le faire tomber, a obtenu du gouvernement minoritaire de Paul Martin un réinvestissement fédéral dans le champ du « logement à loyer modique ».
En campagne électorale, l’équipe libérale a continué de prétendre que les logements réalisés grâce aux divers fonds prévus dans la Stratégie canadienne sur le logement (SCL) sont abordables. Rien n’est moins sûr. Leur prix est plafonné à 80 % du loyer du marché ce qui, dans le cas du neuf, au Québec, peut atteindre 1000 $, voire 1200 $, par mois, selon la région métropolitaine. En contrepartie, les revenus médians des ménages locataires mal-logés de ces mêmes régions métropolitaines oscillent entre 17 259 $ et 20 412 $ par an. Ainsi, un logement supposément abordable accaparerait 60 %, voire 70 % de leur revenu.
Dans le budget de mars 2019, le gouvernement Trudeau a annoncé un investissement supplémentaire de 10 milliards $ sur 9 ans pour construire de logements locatifs, dont le loyer ne doit pas dépasser 30 % du revenu médian des familles (locataires et propriétaires) de la RMR. Selon le recensement de 2016, ce loyer serait de 1979 $ à Montréal, 2240 $ à Québec et de 2241 $ à Gatineau.
En campagne électorale, le FRAPRU a donc réclamé des engagements en faveur du logement social, hors marché et suffisamment subventionné pour que leurs loyers rencontrent la capacité de payer des locataires ayant des besoins impérieux de logement; on en compte 244 120 au Québec. De telles promesses ont été obtenues.
Le Nouveau parti démocratique s’est engagé, avec le concours des provinces et des villes, à dépenser au moins 2 milliards $ de plus par année, pour la construction de nouveaux logements sociaux et que « ces investissements viseront à construire 50 000 logements sociaux sur 5 ans au Québec ». Le Bloc québécois, pour sa part, a promis d’exiger un réinvestissement progressif, jusqu’à l’atteinte de 1 % des revenus annuels du fédéral, soit 3 milliards $ par année, pour développer de nouveaux logements sociaux.
Comme la Fédération canadienne des municipalités et la Communauté métropolitaine de Montréal, le FRAPRU a également revendiqué des engagements afin de préserver les logements sociaux qui ont été construits avant 1994 avec le concours d’Ottawa; cela inclut tous les HLM. Des décennies de négligences gouvernementales rendent la chose urgente; à Montréal, par exemple, l’Office municipal d’habitation compte pas moins d’une douzaine de bâtiments barricadés parce qu’ils sont devenus inhabitables. Il faut les rénover tout en y maintenant des loyers véritablement abordables pour les locataires actuels ou pour les prochaines générations qui y vivront. Là également les Néo-démocrates et les Bloquistes ont pris des engagements qu’ils doivent maintenant concrétiser, afin que l’offre de logements publics et communautaires soit maintenue.
Aujourd’hui, la balance du pouvoir est entre les mains de ces deux partis et Justin Trudeau doit négocier avec eux pour faire passer son budget, à défaut de quoi, le gouvernement sera défait et on repartira en élections. C’est donc là une occasion à ne pas rater pour imposer des engagements ciblés vers le logement social et suffisants pour atteindre les objectifs de la SCL, que chaque ménage canadien ait enfin accès à un logement décent, à un prix convenable.
(Encadré)
Les Libéraux prétendent que c’est la faute de Québec…
Durant la campagne électorale, les candidates et les candidats du PLC ont prétendu que le gouvernement québécois est responsable s’il ne se construit pas ici de logements abordables financés par la SCL. De fait, Québec n’a toujours pas signé l’entente fédérale-provinciale qui en découle. On est en droit d’espérer qu’il vise ainsi à obtenir tous les fonds fédéraux associés à la stratégie qui sont dédiés au Québec, afin qu’ils soient dépensés à l’intérieur des programmes québécois.
Sur les 55 milliards $ attachés à la Stratégie, 22,6 %, soit 12,4 milliards $ en 10 ans devrait être dépensé au Québec. Il semblerait que le gouvernement fédéral ait proposé à Québec de signer pour moins de 4 milliards $ en 12 ans. Il voudrait conserver la main mise sur le restant de la cagnotte, pour l’attribuer lui-même, à partir de ses propres initiatives.
Or, les initiatives fédérales, gérées par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, n’offrent rien pour faciliter le développement de nouveaux logements sociaux, au contraire. Elles obligent les coopératives et les OSBL d’habitation à multiplier les demandes dans différents fonds, chacun réclamant l’atteinte d’objectifs différents. Par ailleurs, ces initiatives ont été conçues pour des promoteurs privés pouvant fournir une mise de fonds, ce que les membres des coopératives et des OBNL ne sont pas en mesure de faire. Enfin, aucun de ces fonds procure les subventions indispensables pour diminuer suffisamment les loyers des ménages à faible revenu.
Si l’entièreté des sommes de la Stratégie dédiées au Québec lui était versée, il est vraisemblable qu’une part significative puisse être versée dans le seul programme qui, à l’heure actuelle permet de développer des logements sociaux au Québec, AccèsLogis. Cela dit, il est aussi vrai que Québec n’a pas besoin de cet argent pour prendre lui-même des engagements plus ambitieux en faveur du logement social.